LOT 035

CC QMG RCA
1904 - 1990
Canadien

Le conscrit
huile sur toile, circa 1960 - 1961
signé
52 5/8 x 23 5/8 po, 133.7 x 60 cm

Estimation : 125 000 $ - 175 000 $ CAD

Vendu pour : 145 250 $

Exposition à :

PROVENANCE
Galerie Agnès Lefort, Montréal
Acquis auprès du susmentionné par la collection privée actuelle, Montréal, 1962


Pendant la Seconde Guerre mondiale, Jean Paul Lemieux était jeune professeur à l’École des beaux-arts de Québec, peintre et critique d’art. Il tenait alors un journal personnel (1940-1945) dans lequel on peut lire ses nombreuses réflexions le conflit qui fait rage en Europe. La dernière ligne qu’il consigne dans ce journal, le 30 janvier 1945, pose la question suivante : « Les Russes sont rendus à 73 milles de Berlin. Serait-ce la fin de la guerre ? ».

Le thème de la guerre parcourt l’œuvre de Jean Paul Lemieux. De sa période primitiviste et narrative des années 1940 à sa période expressionniste des deux dernières décennies de vie (1970-1980), on compte en effet des œuvres emblématiques s’y rapportant telles que Notre-Dame protégeant Québec (1941, collection du Séminaire de Québec) dont la scène est animée d’un ciel lourdement chargé d’avions de chasse et de parachutistes au-dessus du Vieux-Québec. Pensons aussi au vaste tableau Dies Irae (vers 1982-1983, collection du Musée des beaux-arts de Montréal) avec sa frise de huit soldats casqués au premier plan affrontant une foule humaine revendicatrice. Les œuvres tardives de Lemieux sont celles d’un peintre inquiet par l’avenir de l’humanité. Ses visions apocalyptiques sont souvent animées de soldats qui président à la destruction du monde.

À notre connaissance, Le conscrit, œuvre inédite, c’est-à-dire jamais répertoriée, ni exposée publiquement, non plus reproduite, serait l’une des rares allusions à la guerre que Lemieux nous ait laissée pendant sa période classique (1955-1970). Le conscrit passa sous le radar à la suite de son acquisition à la Galerie Agnès Lefort au printemps 1962. L’œuvre réapparaît donc six décennies plus tard à l’occasion de la vente chez Heffel ce printemps. Bien que le peintre n’ait pas daté son tableau, il est raisonnable d’avancer sur la base de l’achat par le collectionneur qu’il l’aurait été peint en 1960 ou 1961.

Droit comme une colonne, avançant au pas cadencé, le conscrit n’a pas d’identité propre. Lemieux a peint ici le portrait type d’une recrue au service de la défense de sa nation. Aucune confusion possible : le jeune militaire porte l’uniforme kaki et la casquette sur une tête propre aux côtés rasés. Lemieux s’est-il inspiré de l’actualité du moment, dans les années 1950 et au tournant de 1960, quand la guerre d’Algérie mobilisa 1,5 millions d’appelés du contingent en France, âgés entre vingt et vingt-deux ans? Possible... Ce que la France appela « opération de maintien de l’ordre » dans sa colonie d’Afrique du Nord, avait plus que jamais le visage de la jeunesse car sans « véritable guerre » le gouvernement n’avait pas besoin de faire appel aux première et deuxième réserves de l’armée. Le service militaire du conscrit avait alors augmenté à trente mois.

La position de profil est caractéristique des personnages « classiques » de Jean Paul Lemieux. Elle prend sa source dans un tableau de 1953, Les servantes (collection particulière), position que le peintre reprit régulièrement dans plusieurs portraits et personnages à partir de 1958. Lemieux réduisit alors la figure à ses traits les plus distinctifs, la dégageant de sa réalité physique pour en faire un personnage intemporel, à l’image des portraits profilés du Florentin Piero della Francesca, et ceux du Français Georges Seurat. On remarque dans Le conscrit que le peintre a accentué le profil du visage en mettant à profit les formes saillantes du nez, de la bouche et du menton qui font écho à la forme en pointe de la palette de son couvre-chef. Ce profil acéré a quelques ressemblances avec celui de Monseigneur (1962, collection particulière), personnage du clergé catholique coiffé d’une mitre. Plus automate qu’humain, Le conscrit de Jean Paul Lemieux est doté d’une mâchoire proéminente. Son allure déterminée vers l’avant n’autorise aucun contact. Le corps se détache sur un espace sombre, éclairé par une lumière froide et artificielle. Nous assistons ici à la synthèse plastique d’un jeune enrôlé qu’on éduque à faire la guerre. Seuls les accents rouges au collet et aux lèvres du conscrit peuvent nous distraire du triste destin qui le guette.

Nous remercions Michèle Grandbois, auteure de Jean Paul Lemieux au Musée du Québec, d'avoir contribué à l'essai ci-dessus. Cette œuvre sera incluse dans le prochain catalogue raisonné de l'artiste actuellement en préparation par Michèle Grandbois.


Estimation : 125 000 $ - 175 000 $ CAD

Tous les prix affichés sont en dollars canadiens


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